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Blog Littéraire

Tralilou Lit

Elena Ferrante, L'amie prodigieuse, Folio Gallimard, 2016, traduction de Elsa Damien

Elena Ferrante, L'amie prodigieuse, Folio Gallimard, 2016, traduction de Elsa Damien

Annés 50'. Elena et Lila, deux petites filles, vivent dans un quartier pauvre de Naples. Un jour elles deviennent amies et ne se quittent plus.

Elles sont toutes les deux douées pour les études. Mais Elena est plutôt sage, timide et admirative quand Lila est nerveuse, confiante et déterminée.

Soutenue par sa maîtresse, Elena continue les études, va au collège puis au lycée. Lila, elle, commence à travailler avec son père, cordonnier, et son frère, apprenti. Mais elle rêve de plus ...

Elles grandissent, leurs chemins se séparent, se croisent et se recroisent dans le quartier où elles ont toujours vécu.

A la quatrième volée de marches, Lila eut un comportement inattendu. Elle s'arrêta pour m'attendre et, quand je la rejoignis, me donna la main. Ce geste changea tout entre nous, et pour toujours.

Elena Ferrante, L'amie prodigieuse, Folio Gallimard, 2016

Pendant au moins trois heures de marche, la route que nous parcourions ne nous sembla guère différente de celle que nous voyions tous les jours. A aucun moment je ne me sentis responsable de l'itinéraire. Nous nous tenions par la main et avancions côte à côte mais pour moi, comme toujours, c'était comme si Lila se trouvait dix pas devant moi et savait précisément que faire et où aller.

Elena Ferrante, L'amie prodigieuse, Folio Gallimard, 2016

Avant de le commencer ma lecture, je pensais que j'allais adorer ce livre : une histoire d'amitié, deux parcours de femmes, en Italie, mon pays de cœur et d'origine. Finalement, j'ai aimé cette lecture et je comprends pourquoi la saga a eu autant de succès, mais de mon côté ce n'est pas vraiment un coup de cœur ...

Si j'ai adoré connaître le détail de la vie d'un quartier populaire napolitain dans les années 50,  cette amitié entre Elena et Lila m'a mise assez mal à l'aise : elle est difficile, mêlant admiration, complexe d'infériorité et jalousie. Ce n'est pas que je n'aime pas Lila, mais j'aurais aimé (et j'aimerais dans les tomes suivants) qu'Elena arrive à vivre par et pour elle-même.. ! Elles sont proches, elles sont complices, elles s'aident parfois mais j'ai trouvé qu'Elena vivait trop à l'ombre de Lila.

Dans ce premier tome, l'auteure plante le décors, présente les personnages et le début de l'intrigue : le rythme est assez lent : j'ai mis du temps à accrocher et j'ai lu très lentement. Mais l'histoire est tout de même prenante, et arrivée à la fin du livre j'ai envie de connaître la suite, ce qui est bon signe. Mais j'ai besoin d'une longue pause auparavant ... !

Nous sommes en Italie du Sud, on pourrait s'attendre à voir la mer et à lire quelque chose de léger et coloré : mais la mer, les jeunes ne font qu'en rêver depuis leur quartier et l'effleurer une ou deux fois dans leur vie, et c'est au contraire plutôt profond, sombre, subtile et complexe.

L'auteure aborde différentes problématiques : ce que l'on fait par amitié, la nécessité de répondre aux attentes de sa famille (étude, travail, mariage ou reprise de l'entreprise familiale ...), le besoin de reconnaissance, le passage de l'enfance à l'adolescence, la découverte du désir et l'amour, les querelles de voisinage, la vie dans un quartier populaire, la disparition de l'artisanat remplacé par la production en usine, la pauvreté et le rêve de richesse.

J'ai aimé cette écriture, très descriptive, rendant compte aussi bien d'une époque, d'un lieu, des bruits, des odeurs, que de toute une galerie de personnages interconnectés les uns aux autres dans le microcosme du quartier.

En lisant, j'avais parfois comme l'impression de regarder un vieux film en noir et blanc à peine tâché de sauce tomate par-ci par-là : le rouge de la passion et de la tension que l'on sent monter au fil des pages ...

Je ne suis pas nostalgique de notre enfance : elle était pleine de violence. Il nous arrivait toutes sortes d'histoires, chez nous et à l'extérieur, jour après jour ; mais je ne crois pas avoir jamais pensé que la vie qui nous était échue fût particulièrement mauvaise. C'était la vie, un point c'est tout : et nous grandissions avec l'obligation de la rendre difficile aux autres avant que les autres ne nous la rendent difficile.

Elena Ferrante, L'amie prodigieuse, Folio Gallimard, 2016

Le lendemain, sur le chemin de l'école, Lila me dit avec son ton habituel : de toute façon, moi, l'examen, je le passe quand même. Je la crus, car lui interdire quelque chose était inutile, nous le savions tous. Elle semblait la plus forte de nous toutes, les filles, mais aussi plus forte qu'Enzo, Alfonso ou Stefano, plus forte que son frère Rino, plus forte que nos parents, plus fortes que toutes les grandes personnes, y compris la maîtresse et les carabiniers qui pouvaient nous mettre en prison.

Elena Ferrante, L'amie prodigieuse, Folio Gallimard, 2016

Habituées par nos manuels scolaires à parler savamment de ce que nous n'avions jamais vu, c'était l'invisible qui nous attirait.

Elena Ferrante, L'amie prodigieuse, Folio Gallimard, 2016

Il y avait une part d'insoutenable dans les choses, les gens, les immeubles et les rues : il fallait tout réinventer comme dans un jeu pour que cela devienne supportable. L'essentiel, toutefois, c'était de savoir jouer, et elle et moi - personne d'autre - nous savions le faire.

Elena Ferrante, L'amie prodigieuse, Folio Gallimard, 2016

Nous avions beau habiter toujours elle et moi dans le même quartier, avoir eu la même enfance et être toutes les deux dans notre quinzième année, nous nous retrouvions soudain dans deux mondes différents.
[...]
Je la regardais de ma fenêtre, je me disais que sa forme précédente s'était cassée et je repensais à ce splendide passage de sa lettre, au cuivre fendu et tordu. C'était une image que désormais j'utilisais sans cesse, à chaque fois que je percevais une fracture à l'intérieur d'elle ou de moi-même. Je savais - ou peut-être j'espérais - qu'aucune forme ne pourrait jamais contenir Lila et que, tôt ou tard, elle casserait tout une nouvelle fois.

Elena Ferrante, L'amie prodigieuse, Folio Gallimard, 2016

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