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Blog Littéraire

Tralilou Lit

Marin Fouqué, 77, Actes Sud, 2019

Marin Fouqué, 77, Actes Sud, 2019

Chaque matin il attend le car, sous l'abri en béton. En silence. Avec Le Traître, la Fille Novembre, Le Grand Kevin et les faux-jumeaux.

Le Traître, avant, c'était Enzo, son meilleur ami. La fille Novembre, elle, elle avait choisi de s'appeler comme ça et gare à qui l'appellerait autrement.

Aujourd'hui, il ne prend pas le car. Il fume, il se souvient, il nous raconte au rythme des voitures qui passent devant lui.

Le Hameau de la Thurelle, dans un petit village du Sud 77, qu'est pas Paris. Les paysages : le vert, le gris, le marron. Les champs, l'herbe grasse, les rares maisons et la centrale électrique.

Les gens aussi. Le Fléau, qui assombrit les yeux de la Fille Novembre. La Vieille. Le Père Mandrin et son tracteur. Le garde champêtre qui les emmerde pas. Le dernier pompiste, cinéphile. La Parisienne. Le Samouraï. Et ses anciens amis. Ses compagnons de jeux, de bagarres. Et pour passer le temps : l'oracle de la Vache, le loto, les bêtises, la fête foraine.

Que s'est-il passé pour que ces trois-là ne se parlent plus ... ? Que faire ensuite ?

77, c'est le département. Ça se revendique. C'est quelque chose. Plus grand que le 93, même, le 77. On ne dit pas soixante-dix-sept. On dit sept-sept. Comme une salve qui briserait le silence. C'est important, ici, le silence.

Marin Fouqué, 77, Actes Sud

On dit sud 77, parce qu'ici, c'est pas Paris. Tu peux partir en vacances dans le monde entier, à Rouen par exemple, si tu dis que tu viens du 77, tu verras, ils te diront Paris. Du coup on dit sud 77. Ça sonne plus exotique. Plus ailleurs. Ça sent presque la mer.

Marin Fouqué, 77, Actes Sud

 C'est un très bon premier roman.

Un livre qui raconte une jeunesse marquée par un territoire, entre campagne et banlieue, entre boue et bitume. Le temps qui passe, comme les voitures sur la nationale. Le temps qu'on essaye de combler comme on peut. Et le silence. Le silence du 77.

Je me suis attachée au personnage principal dont on ne sait pas grand chose au début. Il se décrit comme ayant "un physique de lâche et une fine gueule". Sous sa capuche, "utile dans toutes les situations, la capuche", il regarde et se souvient. On ne connaît pas son nom, seulement un difficile surnom, "surnom de la honte", que les autres lui ont donné. Et concernant sa famille, "c'est compliqué".

Qu'est ce qu'être un homme, un vrai ? Le roman pose la question. Notre jeune héro pense trouver la réponse, un temps, auprès du Grand Kevin. Prendre des coups, les rendre, ne pas pleurer, ne pas trop sourire non plus. Prendre les femmes. Au fond, ne pas ressembler à son père, sur le canapé, dans le noir. Jusqu'aux mots qui apaisent et la prise de conscience.

L'amitié tient une place importante dans le roman. Le Traître et la Fille Novembre sont omniprésents, bien qu'absents sous l'abri où il passe sa journée. La Fille Novembre m'a beaucoup marquée : fille-courage, fille sans peur, fille-rage, chair abîmée et yeux bleuis ...

Il y a toute une galerie de personnages ; on les imagine très bien, on les voit, on les sent. Odeur de vieux, odeur d'alcool, de fumette ou d'essence. Les paysages aussi sont longuement décrits. Le vert, le gris et le marron comme couleurs dominantes.

Enfin, l'écriture est très particulière. J'ai beaucoup aimé et en même temps je suis partagée ... C'est bourré de qualités  J'ai aimé le style brut, répétitif et syncopé. On sent la poésie et le rap derrière la prose.

Mais c'est très descriptif et le rythme est assez lent ... Il n'y a pas de chapitre. C'est un texte "à tiroirs", une pensée en chasse une autre. Les souvenirs s'égrainent au fil des pages. Et même si, en un sens, ça va bien avec l'histoire et le contexte, j'aurais apprécié une narration plus construite.

Heureusement la fin est très réussie !

Je vous conseille ce livre et la découverte de cet auteur ! Pour ma part, je suivrai avec attention ses futures parutions.

Ils ont les épaules fières et la démarche dure comme les racines des arbres qui poussent dans le bitume, à Melun.

Marin Fouqué, 77, Actes Sud

Quand le grand Kevin restait squatter avec moi, au tout début il en avait un de téléphone, et on était heureux. Et puis il l'a pété, alors on a dû continuer sans musique, mais ensemble dans le silence du 77, on était encore heureux. Et maintenant il est retourné s'affaler sur sa chaise de classe à Melun. Dommage parce qu'avec le toit et les murs, ça rebondit, le son, et ça résonne dingue. Que ce soit de la musique ou des mots échangés.

Marin Fouqué, 77, Actes Sud

Le Père Mandrin, il aime bien mettre les détails quand il raconte une histoire. Il en raconte pas souvent, plutôt taiseux comme vieux, mais quand il en raconte, il y met les formes. Et moi j'adore les histoires.

Marin Fouqué, 77, Actes Sud

Ne plus subir la douleur : la choisir. Choisir sa douleur, c'est peut-être ça la liberté.

Marin Fouqué, 77, Actes Sud

[...] j'étais pas une victime. Pas un fragile. On peut être costaud dans un corps de lâche, même avec une gueule fine. Dans le fond, pas un fragile, je me le répétais.

Marin Fouqué, 77, Actes Sud

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